Fin 2022 et en septembre 2023, je me suis rendu dans la région de Castille-La Manche en Espagne pour photographier le lynx pardelle. Retour sur cette expérience.
Le lynx pardelle ou lynx ibérique
Le lynx pardelle ou lynx ibérique (lynx pardinus) est l’un des quatre lynx qui existent de part le monde avec le lynx boréal (lynx lynx) que l’on trouve en France dans le Jura, les Vosges et les Alpes, le lynx canadien (lynx canadensis) et le lynx roux ou bobcat (lynx rufus).
Le lynx pardelle a une robe beige tachetée de noir, sa tête est ornée d’un collier de poils longs et de longues oreilles triangulaires surmontées de pinceaux noirs qui caractérisent si bien le lynx. Il peut mesurer jusqu’à 110 cm avec une queue courte d’environ 13 cm et peser jusqu’à 12 kg. Les mâles sont en général plus costauds que les femelles.
Comme les autres lynx, il n’a que 28 dents alors que les autres félins en ont 30.
Pour en savoir plus sur le lynx pardelle, lisez également mon article 10 choses à savoir sur le lynx ibérique.
La gestation du lynx pardelle dure entre 60 et 73 jours.
La sauvegarde du lynx pardelle
Le lynx pardelle vit exclusivement sur la péninsule ibérique, en Espagne et au Portugal. Au début du XXème siècle, on en comptait plus de 100 000 sur la péninsule. Mais suite à la disparition des lapins de garenne (Oryctolagus cuniculus), décimés par la myxomatose, la population de lynx pardelle a chuté et a failli s’éteindre à jamais. Au début des années 2000, il ne restait plus que 94 lynx pardelles (source : WWF).
Face à ce constat alarmant, WWF, des naturalistes, des agriculteurs et des fédérations de chasse ont entreprit dès 2002 de lancer le projet européen Iberlince afin de restaurer une population viable sur la péninsule ibérique. C’est ainsi que des lynx pardelle ont été élevés en captivité pour être réintroduits, que des tunnels ont été construits pour éviter les accidents avec les voitures et que plus de 150 000 lapins de garenne ont été relâchés dans la nature.
Grâce à ces efforts de terrain, la population de lynx pardelle a significativement augmentée. On comptait 1365 lynx pardelle en 2021, 1668 en 2022 répartis sur 13 noyaux de population dont 12 se trouvent en Espagne. C’est en Castille-La Mancha que les effectifs augmentent le plus entre 2020 et 2022 (+45%). En 2023, la population de lynx ibérique s’élève à 2021 individus.
Afin d’être viable, la population de lynx ibérique doit être multipliée par trois. L’espèce est toujours classée en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Les affûts photo pour le lynx ibérique
Les affûts photo que j’utilise pour photographier le lynx pardelle se situe dans une finca, une ferme traditionnelle, de la région de Castille-La Manche, qui a décidé de travailler sur la conservation du lynx ibérique.
Chaque affût est pour deux photographes. Il dispose d’une vitre sans tain pour rester invisible des lynx qui observent leur reflet en regardant la vitre. Chaque photographe dispose d’un siège de bureau et d’un ventilateur qui l’hiver servira pour éviter la condensation alors que l’été il permettra d’avoir moins chaud.
Face à tous les affûts, on trouve un point d’eau.
Un trépied avec une tête pendulaire est fortement recommandé pour plus de conforts.
Quand photographier le lynx pardelle ?
Le lynx ibérique peut-être photographié toute l’année. Il faut garder à l’esprit que son comportement diffère selon les saisons. L’hiver il a tendance à être très actif et à arpenter l’ensemble de son territoire, notamment pendant la saison des amours. L’affût peut alors donner de bons résultats mais aussi faire chou blanc. Les approches en 4×4 peuvent donner de meilleurs résultats à cette période de l’année.
L’été à l’inverse, il fait très chaud et comme l’ensemble des félins, le lynx ibérique est peu actif par forte chaleur (pas vous ?). Mais il a du coup aussi besoin de boire fréquemment. Et comme la finca a judicieusement placé des points d’eau devant les affûts, cela permet de photographier le lynx pardelle à courte distance.
Retour sur mes observations du lynx pardelle
Fin novembre/début décembre 2022
J’ai affûté le lynx pardelle fin novembre/début décembre 2022 pour repérer les lieux pendant 5 jours. J’ai eu la chance de l’observer deux fois.
Dans les deux cas, il s’agissait d’Odrina, une femelle et de son jeune, le dernier à ne pas avoir encore quitté sa mère. Les femelles ont entre 1 et 4 jeunes par portée. Les naissances ont lieu en mars/avril chaque année. Généralement, les jeunes restent avec leur mère jusqu’à l’âge de 8 à 10 mois. Le jeune est hélas resté hors de portée de mon appareil photo puisqu’il est passé derrière la garrigue. 4 mn de bonheur au total. Je me souviens avoir eu le souffle coupé à la première observation.
Le lynx ibérique était là face à moi, je n’en croyais pas mes yeux.
Avec du recul, j’aurais dû me rendre quelques semaines plus tard dans la finca au moment de la saison des amours. A cette période, il n’est pas rare de voir mâle et femelle marchaient ensemble même si voir le lynx pardelle reste aléatoire. Mais ça aurait été génial d’observer ces comportements.
Lors de ces mêmes affûts, j’ai pu photographier de nombreuses espèces d’oiseaux : rougegorge familier, pinson des arbres, pic de Sharpe, chardonneret élégant, mésange bleue et charbonnière, perdrix rouge, faisan de Colchide, épervier, etc. L’hiver, on peut aussi photographier l’aigle ibérique dans le même secteur depuis un affût spécifique.
Septembre 2023
Retour en septembre 2023 sur le site des affûts dans lequel j’ai réalisé mon repérage mais cette fois pour accompagner un voyage photo Objectif Nature. J’ai observé et photographié le lynx ibérique à quatre reprises lors de cette semaine. Les photographes qui m’accompagnaient l’ont tous photographié cinq à six fois excepté une photographe qui l’a vu à deux reprises. Si nous sommes tous sur le territoire du lynx pardelle et même si nous utilisons les mêmes affûts (des moments différents), il y a toujours un facteur chance dans l’observation et la photographie animalière.
L’année 2023 n’a pas été une bonne année pour les jeunes lynx : peu de naissance par rapport aux années précédentes et trois jeunes décédés. Deux ont été tués par un mâle qui a fait fuir le père de la portée et une jeune est décédée suite à la mort de sa mère par collision avec une voiture. C’est bien triste mais c’est la nature.
Mon coeur s’arrête de respirer, je replonge dans mon viseur et je ne rate pas une seconde de l’approche du lynx ni du moment où cette femelle vient boire juste devant nous.
De mes 4 observations, deux m’ont particulièrement marqué. Le j2, j’ai eu la chance d’observer Metsa, la matriarche de 9 ans et sa jeune de 1 an et 5 mois. Habituellement, les jeunes lynx s’émancipent après 7 à 10 mois. Il faut croire que des Tanguy existent aussi chez les lynx. Au départ, je n’avais vu que Metsa qui ne dédaigna pas regarder en direction de l’affût. Je la suivais, les yeux rivés dans le viseur de mon appareil photo. Au moment où elle disparaît, je lève les yeux et j’aperçois sa fille se diriger vers le plan d’eau face à l’affût. Mon coeur s’arrête de respirer, je replonge dans mon viseur et je ne rate pas une seconde de son approche ni du moment où elle vient boire juste devant nous. Elle s’est même arrêtée de s’hydrater pour nous regarder. La scène a très exactement durée 4 minutes. Du pur bonheur. J’ai envie de crier ma joie une fois les deux lynx partis mais je la contiens à l’intérieur de moi. Les trois autres photographes du voyage photo qui sont avec moi ont vécu les mêmes instants de bonheur.
Deux jours plus tard, il est 8h01 quand un lynx traverse la zone devant nous en arrivant par la gauche. Il reste 30 secondes sans nous jeter un regard. C’est Quitchu, un mâle de 5 ans. Retour du lynx 6 mn plus tard. Le lynx passe à moins de 3 m sur la droite de notre affût en venant par l’arrière. Nous l’avons de dos. Il stoppe, tend la tête vers l’avant, reprend sa marche, s’arrête à nouveau, feule, se met de profil et regarde sur la droite. Soudainement, il part en courant tout en ayant la tête levé et sort de notre champ. Je vérifie mes photos, pas de roubignole. Ce n’est pas Quitchu mais Odrina, une femelle de 7 ans. A nouveau 6 minutes plus tard, les deux lynx reviennent à tour de rôle, se lèchent les babines et s’assoient en arrière plan. Je pense que Quitchu a chassé derrière un buisson et a permis à Odrina de profiter un peu du repas. L’arrière plan commence à s’illuminer par les premiers rayons du soleil. La totalité de la scène a duré un peu plus de vingt minutes.
Une fois encore, ces mêmes affûts ont permis de photograhier un grand nombre d’espèces d’oiseaux. Plus de 40 espèces différentes pour l’ensemble du groupe, et notamment la pie-grièche méridionale, l’autour des palombes, le moineau espagnol, la pie bleue, le cochevis huppé ou encore le pic de Sharpe.
Septembre 2024
Pour la seconde année consécutive, j’accompagne un groupe de photographes amateurs pour l’agence Objectif Nature. Lors de ces 10 demi-journées d’affût, nous avons croisé le lynx ibérique à 6 reprises.
Cette année 2024 est une bonne année pour les lynx. 11 naissances ont eu lieu sur les deux fincas que nous utilisons pour photographier le lynx ibérique. Trois femelles ont eu de 2 à 5 portées.
Le premier après-midi d’affût, nous avons bien cru que le lynx n’allait pas se pointer. La femelle Queen est passée à 20h42 devant l’affût alors que le soleil s’était déjà couché et que la nuit s’installait. Des conditions difficiles pour faire une bonne photo, mais c’est toujours un privilège de croiser le regard d’un lynx.
Le lendemain et le quatrième jour d’affût, aucun lynx ne se présente mais cela ne signifie pas que nous ne voyons rien et que nous n’avons pas de photos à réaliser. Les lapins sont nombreux autour de l’affût et les oiseaux viennent s’abreuver ou se toiletter au niveau de la drink. 35 espèces différentes ont pu être photographiées. Parmi elles, le bruant proyer, le chardonneret élégant, le cochevis huppé, l’étourneau unicolore, plusieurs fauvettes (des jardins, grisette, pitchou), les gobemouches gris et noir, le moineau espagnol, l’orite à longue queue, la perdrix rouge, le pic de Sharpe, la pie bleue et la tourterelle des bois.
Le J3, nous avons de nouveau de belles observations. Le plan d’eau face à l’affût, c’est un peu le bar du coin. Et comme dans tous bars, il y a les piliers de comptoir et ceux qui s’en jettent un rapidement. Alors que les merles noirs, mésanges, cochevis huppé, pie bavardes et perdrix rouges font partie de la première catégorie, les lynx sont plutôt des clients qui ne s’attardent pas.
Je vais vous raconter un passage de la femelle Queen. 8h50. Queen arrive par la gauche au fond de la clairière. Elle avance d’un pas décidé. La dizaine de perdrix rouge lance des cris d’alerte à tout va mais ne s’envole pas. Elle se frotte à un arbuste pour marquer son territoire à l’image de ce que peuvent faire nos chats domestiques. Puis, elle s’approche en direction du plan d’eau. Elle s’allonge au bord de l’eau et se met à boire alors que des guêpes lui tournent autour du visage. Une fois désaltérée, elle fait demi-tour et poursuit son chemin vers le nord. Elle sera restée environ 3 minutes. Du pur bonheur.
Quand un lynx apparaît, j’ai toujours cette dopamine qui envahi mon corps et mon esprit.
Le même jour, le guide de la finca vient nous récupérer à l’affût à 20h15, pas pour rentrer. Il a croisé Odrina et ses deux jeunes à l’entrée de la grange où elle les élève. Nous montons à trois dans le 4×4. Les trois suivants se préparent pour nous relayer dans quelques minutes. À notre approche, ils commençaient à bouger sur la piste. Le 4×4 s’approche lentement. Nous faisons quelques photos, les passons. Je demande au guide si l’affût 2 est libre. Il me répond par l’affirmatif. Il nous y dépose et part chercher les trois photographes suivants. J’espère que les trois lynx vont se diriger vers l’affût. Il s’est passé quelques minutes, mais à cette heure-ci, la lumière décline rapidement. Au moment où le guide revient vers l’affût avec les trois autres photographes, les lynx, Odrina et ses deux jeunes, viennent d’arriver devant nous. L’un des deux jeunes s’arrêtent pour boire. Odrina passe à gauche de l’affût et le second jeune à droite. Les conditions de prise de vue sont extrêmement difficiles. Je suis à 25 600 isos. Mais c’est un vrai bonheur de les observer. J’en ai encore le cœur serré en vous écrivant ces lignes. Leurs regards sont ancrés dans ma mémoire pour toujours.
Le J5, Odrina revient en toute fin de journée avec un seul de ses jeunes face au même affût. La lumière n’est pas meilleure que le J3 mais c’est un régal de les voir ainsi en liberté. Contrairement à deux jours plus tôt, ils sont arrivés de derrière l’affût.
Le dernier jour, nous retournons sur un affût qui n’avait rien donné pour nous mais qui avait été excellent pour d’autres photographes. 8h15 : la femelle Ria arrive sur notre gauche, s’éloigne de nous sans tenir compte de notre présence. Elle est en chasse. Elle s’enfonce derrière un bosquet et réapparaît quelques secondes plus tard. Elle disparaît de nouveau et revient devant l’affût. Elle avance d’un pas rapide et décidé. Plus un lapin n’est visible à l’horizon. Elle disparaît de nouveau. Le manège a duré 5 minutes. Ria repassera en milieu de matinée en prenant le soin de marquer son territoire sur les buissons.
Encore une belle année pour nos sessions photo. J’ai hâte de revenir en septembre 2025 pour en savoir plus sur les jeunes lynx nés en 2024.
Autres affûts pour photographier le lynx ibérique
Plus au nord de la province de Castilla la Mancha, j’ai découvert un autre site d’affûts pour photographier le lynx pardelle dans un paysage moins ouvert et plus buissonneux et forestier. Dans le secteur vivent plusieurs lynx, mâles et femelles. Il y a deux sites d’affûts : l’un dans une prairie forestière munie d’un plan d’eau et l’autre le long d’une piste dans un finca qui s’oriente face à des plaines agricoles et la rivière Tage qui se jette dans l’océan Atlantique depuis l’estuaire du Tage, site ornithologique majeur au Portugal. Là aussi, un plan d’eau fait face à deux des quatre affûts.
Le propriétaire de ses affûts utilise des appâts vivants pour l’attirer. Pour cette raison, je n’intègrerai pas ces affûts à un voyage photo. Je préfère toujours faire des affûts sans appât quand cela est possible, surtout si ils sont vivants.